Mai 2010 - l'île Rodrigues - Océan Indien (légende pour les 3 premières photos de la série)
En bon breton, je sais que les bistrots ont toujours été les meilleurs endroits pour glaner de bonnes infos. Accoudé au zinc du Bamboo, dans le centre ville de Port Mathurin - capitale de Rodrigues - je parle au tenancier de mon projet. On partage aussi nos goûts musicaux, il me parle de la vie du coin… En une demi heure, un hébergement chez ses cousins, les frères Meunier, est arrangé pour un bon prix ! chez eux, la fratrie me racontent leur histoire. Ils sont tous les trois pêcheurs. Voici peu, ils ont perdu leur père. Celui qui leur a tout enseigné a disparu en pêche en allant poser des casiers. Sa barque s’est retournée dans la passe, on ne l'a jamais retrouvé. Tous les rivages du monde sont peuplés de pêcheurs aux histoires parfois très dures. Partout, ils ont cette façon bien particulière de regarder la mer et de l'appréhender avec humilité. Décidé ! Mon premier reportage racontera l'histoire de ces hommes qui vivent de leur lagon, de la pêche et reste humble face aux éléments. Avec les trois frères, nous partons en pêche. Nous allons relever ces fameux casiers. Ils sont pleins de carangues, nasons et autres chirurgiens XXL. Sur le retour, mission accomplie, un vent de liberté sauvage porte l’embarcation et ses hommes vers la maison où la pêche du jour sera vendue en direct. De concert avec une autre barque, dans une eau translucide et turquoise, ça file de travers, voiles gonflées à bloc ! J’immortalise ce délicieux moment. Seulement quelques images pour ne pas oublier de profiter de ce bord magique avec mes nouveaux amis ! Plus tard, c’est à pied, dans le lagon que nous partons pêcher LE mets rodriguais par excellence : « les ourites » - nom local du poulpe. ici, on les voit partout, sécher dans les jardins, la rue, la plage, en dessin sur des fresques murales qui racontent l’histoire des gens de l’île. Pour pêcher l'ourite, il faut se lever tôt. Dans une nuit d'encre, je perçois les petits points rouges de cigarettes. Des visages apparaissent succinctement à chaque nouvelle bouffée. Ce sont les nouveaux pêcheurs avec qui j'ai rendez vous ! Nous partons avec les premières lueurs, voiles ferlées car il faut ramer pour aller sur le lieu de pêche, l’eau y est peu profonde et le fond, truffé de corail. Armés de longs piques en fer, à pied désormais, les pêcheurs, débusquent les ourites dans les interstices du récif. Parfois, les tentacules équipées de rangées de ventouses, s’accrochent rapidement et solidement aux pêcheurs, ne semblant faire plus qu'un avec leurs bras. Quand le soleil commence à brûler, vers 9h, il est temps de rentrer. Alors que la marée a atteint son point le plus bas, debout, poussant leurs pirogues avec de longs bâtons, les silhouettes des pêcheurs se découpent nettes sur un horizon orangé immaculé telles des ombres chinoises. Voilà, mon premier reportage était bouclé. Quatre semaines à côtoyer ces habitants du bout du monde, ressentir une atmosphère, une culture, prendre son temps, travailler en calquant le rythme des personnages avec qui on fini par lier amitié, et c'est bien la chose la plus importante que m'aura appris ce travail, premier d'une longue liste. Quitter cette île n’a pas été sans mal, je m'y voyais bien couler des jours heureux, faire un bouquin, tomber amoureux… Comme l’ourite est piquée par le pêcheur, je l’ai été par Rodrigues et ses habitants. Mais l'appel des îles devait me chatouiller encore car ma mission à bord de Tara n’était pas terminée et, l’année suivante, je ne le savais pas encore en quittant Rodrigues les yeux mouillés, mais c’est la Polynésie qui me piquerait à son tour et cette fois ci, j’y resterai pour de bon !