Ile de Fatu Hiva - Archipel des Marquises
L’histoire de Fatu Hiva est connue aux Marquises et bien au delà pour être riche d’une longue lignée d’artistes créateurs d’objets emprunts de mana, autrement dit, de pouvoirs aux puissances surnaturelles.
Tourisme et Mana, incompatible…?
Mais depuis quelques générations, le mana n’est plus vraiment une priorité. Car, l’artisanat marquisien, de très grande qualité, est prisé des touristes de passage en Polynésie française.
Chaque visiteur se doit de repartir avec un tiki ou une belle pièce de tapa choisies avec des critères très personnels. Fantasme neo-colonialiste, ou bien simple objet de décoration ?
Les critères sont importants dans le choix du tiki. « Un tiki, c’est très personnel » lance une touriste au bar de l’Aranui 5, un cocktail à la main : « Il nous projète de nouveau dans notre voyage quand on le regarde posé sur la cheminée de notre maison. On le choisi selon nos goûts personnels, car il a telle ou telle couleur, telle forme, c’est un coup de coeur, il se passe quelque chose… » Une manière pour cette touriste de mettre son propre mana dans son achat !
Ramener un peu de ce que considère les touristes comme une ode au spiritualisme maori est en fait dénué de toute spiritualité. Car le mana des artisans, ce pouvoir surnaturel que l’on place dans les objets (présent dans l’âme des défunts ou encore certains lieux sacrés) est insufflé avec les mains en prenant le temps de sentir cette connexion avec sa création qui guide les gestes de l’artiste pour réaliser des oeuvres uniques.
Avec la demande commerciale, de nos jours, les pièces sont fabriquées « à la chaine », sur les mêmes cottes avec des outils électriques qui facilitent et accélèrent la production mais n’amènent pas le silence et le temps nécessaire pour faire corps avec le mana.
Aujourd’hui, par besoin et évolution moderne de la société, le mana semble avoir quitté les créations des artistes de Fatu Hiva au profit de l’argent. Impossible de mettre du mana dans un Tiki que l’on vend, le processus est trop rapide et dénué de spiritualité.
D’ailleurs, une pièce ancienne empreinte de mana ne doit jamais quitter son île de création sous prétexte de porter malheur à celui qui l’emporte !
Simon, tailleur de pierre !
Une exception cependant à Fatu Hiva, un homme aux allures de grand chef, parole posée, charisme statuaire, force tranquille : Simon, le tailleur de pierre. « Le Mana, tu le mets dans ta création, c’est lui qui guide tes gestes lents et précis. Tu prends le temps de travailler car c’est ce qu’il faut pour placer du Mana dans une grande oeuvre, un à plusieurs mois peuvent être nécessaire ! »
La dernière grande pièce que Simon a conçu avec du mana se trouve sur le quai de la Baie des Vierges, c’est un tiki d’un mètre vingt de haut, une oeuvre magnifique, unique.
La municipalité de Fatu Hiva lui a commandé cette oeuvre pour accueillir les visiteurs dans la Baie des vierges. Simon raconte, lorsqu’il l’a sculpté, il pensait à son beau père alors décédé, lui qui a tout apprit de la sculpture à Simon. Il était reconnu dans l’ensemble des Marquises pour son incroyable talent et valorisait sans cesse la grande qualité des sculpteurs de Fatu Hiva.
Et pourtant le magnifique objet est très controversé. On ne l’entretien pas, il est couvert de lichen et il « fait un peu honte » à la population ! En effet, Quand on tourne autour de l’oeuvre, de dos, ce tiki a vraiment des allures très prononcé de sexe masculin ! Mais n’est ce pas là la vison parfaite qu’un visiteur se fait d’un tiki original ?
Là est toute l’ambiguïté entre la religion catholique, très pratiquée à Fatu Hiva et les traditions ancestrales souvent empruntes de moult symboliques sexuelles.
Comme Simon le rappelle : « un tiki représente le sexe masculin depuis toujours et c’est bien le mana qui a guidé mes gestes, si j’en suis arrivé à ce résultat, c’est que j’étais littéralement possédé par le mana de mon beau père. Son âme habite désormais la sculpture et j’en suis apaisé. »
Le tiki de Simon dérange un peu certes, mais cette statut qui trône dès qu’on pose le pied à terre n’est pas prête de disparaitre. Hanavave s’y habitue avec le temps et il fait désormais partie du décors majestueux de la Baie des Vierges, cette baie que les premiers marins appelèrent Baie des Verges avant que les prudes missionnaires catholiques n’ajoutent un « i » au mot pêché… A croire que ces marins rigolards étaient du côté des traditions locales, ce qui ne doit pas être sans rassurer Simon !
Quelle avenir pour le mana ?
Aujourd’hui la société a évolué, on ne peut plus, quand on a une famille a charge éduquer ses enfants et survivre sans argent comme autrefois où la vie était plus simple avec bien moins de tentation.
L’appât du gain sans cesse grandissant pousse les artistes marquisiens à vendre un peu de leur culture au visiteur et parfois à de grandes enseignes, comme ce grand supermarché de Tahiti qui a récemment acquis une des plus belles sculptures de Simon, un penu géant en pierre (où son nom ne figure même pas…) qui trône dans la galerie marchande relayant l’oeuvre d’art au rang de simple décoration exotique, folklorique.
Mais dans ce monde capitaliste, Vendre leurs oeuvres permet aux marquisiens de rester dans leurs îles et continuer à montrer l’incroyable talent qui les habites bien au delà du mana, ésotérie abstraite des temps anciens mais qui, on doit l’avouer, fait perdurer les traditions artistiques et c’est tant mieux !
Et comme dis notre ami Toko de Fakarava, « Si tu veux vraiment voir le vrai mana, va au marae à minuit un soir de pleine lune, tu regardes le tiki dans les yeux et là, tu auras la tête comme une montgolfière ! » (rires)
Finalement, à chaque polynésien, chaque voyageur, son interprétation du mana.